L'explosion de la maison Strauss-Kahn

L'explosion de la maison Strauss-Kahn


Est-ce qu'il est triste quand ils se déchirent, maintenant qu'il est loin? Ça fera bientôt un an que Dominique Strauss-Kahn est parti à Washington diriger le Fonds monétaire international: un exil studieux avant de revenir sauver la gauche, si c'est encore possible... pour elle et pour lui! Mais le strauss-kahnisme n'a pas survécu au départ de son leader: papa est en voyage d'affaires, et ses enfants se disputent...


En l'absence de Dominique Strauss-Kahn, parti au FMI, ses partisans se divisent.

A Jean-Christophe Cambadélis, maître tacticien et expert ès appareils, la gestion du courant. A Pierre Moscovici, l'intellectuel, une fondation. A charge pour eux de maintenir la flamme, en attendant son retour, peut-être... Rien n'a tenu. Rocard et ses amis -le maire de Grenoble Michel Destot, le théoricien du PS Alain Bergougnoux- soutiennent Delanoë. Cambadélis construit un courant pour Martine Aubry. Et Moscovici s'est émancipé, qui veut lancer sa propre écurie, au nom de la "modernité", jadis le slogan de DSK! Et chacun en veut aux autres, et l'on médit, et l'on murmure...

"La maison DSK est devenue plus virtuelle que réelle", lâche un des rocardiens partis chez Delanoë. Cela s'est fait très tôt - Rocard aurait assuré le maire de Paris de son soutien dès avril dernier. Le raisonnement était logique. Les militants socialistes réclament un chef, il ne faut pas laisser passer Ségolène Royal, et on ne peut pas attendre indéfiniment le retour de l'exilé. "Quand Moscovici dit qu'un présidentiable ne doit pas diriger le parti, c'est de l'hypocrisie, dit le DSK-delanoëiste. Si Dominique était là, il le soutiendrait!" Les autres enfants de Dominique font mine de mépriser les ralliés à Delanoë. Des opportunistes, qui ne pèsent rien! "Rocard, Bergougnoux, Destot, qu'est-ce que cela représente?" Mais eux persistent, lancent des appels, insistent sur leur ascendance strauss-kahnienne: "Nous avons aussi une partie de la sainte Croix."

"Camba est un manipulateur"

L'humour les sauvera? Mais les strauss-kahniens ne rient plus. Même les plus proches de DSK s'empoignent. Pierre Moscovici veut aller au bout de ses ambitions, porter lui-même le message de la famille, allié au courant moderniste-provincial "la ligne claire". Mais son ex-ami Cambadélis sape son entreprise, méthodiquement, auprès des journalistes. Mosco n'y arrivera pas, suggère-t-il, il ne pèse rien, il fera un mauvais score et ridiculisera Dominique! Et Cambadélis laisse entendre qu'il porte la parole du chef, que celui-ci lui a donné le feu vert pour monter un nouveau courant avec Martine Aubry...

D'ailleurs, "Martine" n'a-t-elle pas dîné chez Strauss-Kahn le 15 août dernier à Marrakech? Aussitôt après ces agapes, Cambadélis a multiplié les SMS et les confidences. "Tout s'est bien passé, tout s'est décidé là", répète-t-il. En face, les amis de Moscovici enragent. "Camba est un manipulateur", entend-on. Un "petit télégraphiste" aux télégrammes truqués. Ou pire : un menteur, un "trotskiste", jamais guéri de sa jeunesse manoeuvrière à l'OCI! "Il parle au nom de Dominique sans en avoir le droit !" A La Rochelle, tout a dégénéré. Les amis de toujours se sont avoué leur mépris réciproque. Depuis, on négocie, avec tant d'arrière-pensées. Cambadélis adjure Moscovici de renoncer à son ego. Et Moscovici, tout en assurant qu'il n'a coupé aucun lien avec Strauss-Kahn, assure qu'il entraîne l'immense majorité des strauss-kahniens, en affirmant son autonomie: "Nous ne sommes pas les gardiens de la flamme, on poursuit autre chose." Etre strauss-kahnien, sans lui? Contre lui? Il y a quelques jours, Michèle Sabban, une proche de Moscovici, a envoyé un texto amer à DSK ; excédée, elle l'enjoignait de venir s'expliquer devant les siens pour démentir ses porte-parole autoproclamés. Elle aurait reçu une réponse: "Si j'ai un message à faire passer, je le donnerai moi-même." Le chef est sibyllin.

En réalité, DSK n'est pas indifférent. Mais il est loin, et ne veut pas trancher entre ses enfants. Il trouve, effectivement, que la création d'un courant central, capable d'éviter un duel Royal-Delanoë, est une bonne idée ; une idée qui préserverait ses intérêts en empêchant l'affirmation d'un présidentiable. Que ses amis discutent avec Martine Aubry lui va bien. Mais de là à sacrifier ouvertement Moscovici... "Au fond, Dominique est trop loin, dit un ami de DSK. Il ne sent pas forcément les rapports de force dans le parti. Et il ne pense pas qu'à cela. Le FMI l'occupe beaucoup plus. Et, s'il doit revenir, l'opinion publique comptera beaucoup plus que les combinaisons internes au PS. Si le pays attend Dominique, les strauss-kahniens reviendront à la maison, même ceux qui suivent aujourd'hui Delanoë." Il leur reste cela, l'espoir de devenir une famille recomposée?