Télé-Sarkozy, bientôt sur vos écransEn cinq minutes, c’en sera fait de France Télévisions. Ce matin, en Conseil des ministres, Christine Albanel, en charge de la Culture et de la Communication, présente sa loi sur l’audiovisuel. Ou plutôt celle de Nicolas Sarkozy, car c’est le président de la République qui a décidé de tout : la suppression de la pub d’abord, les taxes pour compenser la perte de la pub ensuite et enfin la nomination du futur patron de la télé publique - et sa révocation - par Sarkozy
himself. Sacré symbole de sa mainmise sur les médias, où il compte tant d’amitiés… La loi va désormais continuer son chemin vers le Parlement, où elle ne devrait pas dévier de la volonté sarkozyste, et le 5 janvier à 20 heures, la pub disparaîtra des écrans publics. Rideau ? Non, car de nombreuses zones d’ombre continuent d’obscurcir l’avenir de France Télévisions.
programmesQue verra-t-on sur France Télévisions ?
Si vous avez la réponse, écrivez à Patrick de Carolis, 7, esplanade Henri-de-France, 75907 Paris, Cedex 15. Car c’est un vrai casse-tête. Sur le papier, pourtant, ça a l’air simple et c’est écrit noir sur blanc dans la loi :
«La première émission de soirée débutera, sauf circonstances particulières, vers 20 h 35, ce qui permettra une véritable deuxième partie de soirée commençant autour de 22 h 15.» Couche-tôt et bonnets de nuit,
welcome ! Les autres pourront avoir du mal à s’adapter aux nouveaux horaires de France Télévisions, comme s’en inquiétait la semaine dernière Alain Vautier, chargé de l’habillage sur le service public :
«On risque de perdre des téléspectateurs actifs et urbains à cause des rythmes de vie. Il y a un vrai risque, car si quelqu’un rate les vingt premières minutes d’une fiction, il y a peu de chances qu’il reste sur la chaîne.» A moins bien sûr d’avoir de la bombe atomique dans ses grilles. Problème : le gouvernement n’a pas mis un fifrelin pour financer de nouveaux programmes. Du coup, Vautier s’interroge :
«Est-ce que l’offre est assez séduisante pour que les gens changent leurs habitudes ?» Qu’importe direz-vous, car sans pub France Télévisions ne sera plus soumise aux diktats de l’audience. Sauf que non, la loi précise que la télé publique restera soumise à
«une obligation de résultat». Dilemme aussi, mais inverse pour les rivales qui n’entendent pas se faire manger les téléspectateurs sur le dos par un service public qui démarre ses soirées un quart d’heure plus tôt. TF1 pourrait être tentée de se caler sur France Télévisions et commencer à 20 h 35, sauf qu’il va aussi falloir qu’elle case toute sa pub. Vautier a calculé :
«Pour un démarrage à 20 h 35, et en plaçant toutes ses pubs, ça fait onze minutes de JT sur TF1…» Et M6, qui a justement annoncé un journal
«autour de 20 heures» pour janvier ? On peut imaginer un JT à 19 h 45 et se terminant à 20 h 15, sauf que M6 va elle aussi devoir caser sa pub et que celle-ci risque de se retrouver en face du hit
Plus belle la vie que France 3 veut avancer à 20 h 10-20 h 15…
compensationLe compte y est-il ?
Pour compenser la suppression de la réclame après 20 heures, le gouvernement garantit à France Télévisions 450 millions d’euros, issus d’une taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées (3 %) et d’une autre sur le chiffre d’affaires, généralement maousse, des opérateurs de téléphonie et d’Internet (0,9 %). 450 millions auxquels s’ajouteront 169 millions d’euros venus de la pub d’avant 20 heures :
«On est à peu près dans les clous», commente un cadre de la télé publique. En revanche, l’argent espéré pour financer les programmes qui prendront la place de la pub, c’est niet :
«Ça représente 70 millions d’euros par an, mais on a compris qu’il ne fallait pas compter dessus.» Le président de France Télévisions, Patrick de Carolis, l’avait promis en juillet dernier :
«Si le compte n’y est pas», il prendra ses cliques et ses claques. En fait, le compte ne se fait pas sur 2009, mais sur les années suivantes. Depuis des semaines déjà, il négocie avec Bercy un plan d’affaires jusqu’en 2012.
«La grande question, explique l’un des négociateurs,
c’est la date du retour à l’équilibre.» Carolis juge cela impossible avant 2012, quand Bercy voudrait voir la télé publique à flot dès 2010, et ce à grands coups d’économies.
CONCURRENCETF1 y gagne-t-elle ?
Dans la demi-heure qui a suivi l’annonce de Nicolas Sarkozy, le 8 janvier, deux actions faisaient des bonds de cabri à la Bourse de Paris : celles de TF1 et de M6. Ouh le joli cadeau que voilà pour les chaînes privées et la première d’entre elles, propriété de Martin Bouygues, ami personnel du Président… Gling : la pub de France Télévisions dans les fouilles ! Mais ce n’était pas assez : le gouvernement a donc décidé d’aligner les cadeaux, notamment par le biais d’une directive européenne. Les chaînes privées auront donc désormais droit à une seconde coupure dans les films et les fictions, ainsi qu’à une augmentation du volume de réclame et au «placement de produits» (par exemple : Renault payant la production de
Joséphine, ange gardien pour que Mimie Mathy roule en Twingo). Soit un cadeau, selon les experts, d’un milliard d’euros, c’est-à-dire près d’un tiers des investissements publicitaires annuels dans la télévision. Oui mais voilà, entre-temps, l’audience des chaînes généralistes s’est débinée et une certaine crise financière est passée par là. De l’arrêt de la pub sur France Télévisions, ses rivales n’attendent désormais plus la manne espérée. Et le milliard d’euros potentiel pourrait bien ne profiter à personne. Déjà, la pub perdue par France 2 depuis le 8 janvier ne s’est pas reportée sur TF1, M6 et Canal +, mais sur la TNT. Et la moitié seulement, le reste s’étant évaporé dans la nature. En fait, c’est bien la TNT qui risque de bénéficier de la suppression de la pub sur France Télévisions, plutôt que les chaînes généralistes à l’audience déclinante. D’où une baston collatérale :
«Comme seule la TNT va voir sa part de marché publicitaire augmenter en 2009, l’enjeu pour TF1 et M6 est de racheter des chaînes de la TNT afin de bénéficier de 100 % de leurs recettes», analyse un expert.
EconomiesY aura-t-il un plan social ?
Et le 5 janvier, la citrouille France Télévisions se transformera en… citrouille, mais unique. En effet la loi métamorphose France Télévisions en une entreprise unique. C’est-à-dire qu’au lieu de la myriade de sociétés que compte aujourd’hui la télé publique, il n’y en aura plus qu’une. Donc une seule direction des achats, des études, de la jeunesse, de la fiction, du documentaire, etc., qui alimenteront les antennes, mais aussi le Web. Ça n’a l’air de rien mais ça va tout changer :
«Ça veut dire que le 5 janvier, l’accord d’entreprise et les conventions collectives tombent», explique Carole Petit, de l’intersyndicale de France Télévisions qui remet ce matin à l’Elysée une pétition appelant à la protection des conventions collectives. Les syndicats auront dix-huit mois pour renégocier des accords. C’est là que ça risque de se gâter. Par exemple au niveau des salaires, pas équivalents d’une chaîne à l’autre. Ou sur le temps de travail, qui pourrait être remis en cause, ou l’évolution des métiers. Autant de bombinettes incendiaires que syndicats et direction devront manipuler avec précaution, car le gouvernement peut avoir beau jeu de laisser Carolis faire le sale boulot pour ensuite, en cas de grave conflit, le faire sauter. Christine Albanel a promis hier qu’il n’y aurait pas de plan social à France Télévisions, la ministre pariant sur des départs à la retraite non remplacés. Au cours des négociations avec Bercy qui réclame de fortes économies, l’équipe de Carolis a posé la question à plusieurs reprises :
«Nous demandez-vous de faire un plan social ?» Les représentants de l’Etat n’ont jamais répondu : sujet tabou.
NominationCarolis va-t-il sauter ?
Depuis sa sortie tonitruante de juillet, Patrick de Carolis est sans cesse donné partant de France Télévisions. Dans les couloirs gouvernementaux, on cite même déjà un successeur : Jean-Marie Colombani, ancien patron du
Monde. Carolis, lui, répète qu’il attend de savoir
«si le compte y est» et il le saura à la fin du mois, sitôt les négociations financières avec Bercy abouties. Mais dès la promulgation de la loi, il pourra voir son mandat, prévu jusqu’à l’été 2010, singulièrement écourté. Gros morceau du texte de loi, le nouveau mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public risque d’être difficile à avaler pour les députés et les sénateurs. Au lieu d’une élection par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), c’est désormais un décret présidentiel qui fera et défera le patron de la télé publique. Tout comme, rappelle la loi, celui de la SNCF ou d’EDF. En guise de garde-fous - ou de cache-sexe - le CSA et des commissions parlementaires devront donner leur avis. Combien on parie qu’ils seront d’accord avec Sarkozy ?