Sentiment de dépossession, désir de renouvellement : les adhérents de trois fédérations témoignent.
Envoyé spécial à La Suze, à Lille et aux Lilas DAVID REVAULT D’ALLONNES Sydné et Pascal, de la sélection PS des Lilas. (Frédéric Stucin (MYOP))
Y aurait-il, dans ce parti, une fracture ? A dix jours du vote des militants, ceux-ci, de concert, s’affirment
«frustrés»,«déçus»,«en colère». Assurent
«vivre difficilement ce qui se passe». Disent leur
«désespérance» de voir la compétition interne exacerbée, le champ libre laissé à Sarkozy, ainsi que leurs craintes de voir leurs voix confisquées au lendemain du congrès de Reims. Voyage, dans trois fédérations, au cœur du parti d’en bas, à mille lieues des conglomérats des prétendants, à la rencontre des petits actionnaires socialistes.
La Suze (Sarthe)«Leur guerre ne nous concerne pas du tout»Ce mercredi soir, ils sont cinq représentants des motions en lice à faire l’article, dix minutes chacun, à la salle des fêtes de La Suze. Derrière eux, les casiers du cercle d’échecs, du club du troisième âge ou du groupe mycologique, et une affichette :
«Vive les mariés». En face, une quarantaine de militants de quatre sections rurales de la Sarthe. Les plus jeunes ont une trentaine d’années : ils sont deux. La séquence des questions s’ouvre : nette liberté de ton et désarroi certain. Les militants se révèlent, au fond, moins intéressés par les textes que déconcertés par les subtilités du rituel socialiste. D’autant que
«sur les motions, on est à peu près tous pareils», comme le précise maladroitement le représentant de Ségolène Royal.
«Ségolène, elle est candidate ? Et Martine ?» s’inquiète l’un.
«Quelles seront les discussions de couloir entre responsables ? Lesquels vont s’allier pour avoir la majorité ?» s’enquiert l’autre.
«Qu’on évite les basses polémiques dont nos cadres nationaux sont friands ! Plus on descend dans la hiérarchie, plus on est responsable», s’énerve un troisième, qui aimerait
«avoir l’assurance qu’il n’y aura pas de combinaisons et que les militants ne seront pas floués !» Un sentiment de dépossession qui rime avec démobilisation.
«Il n’y a plus la même volonté. Avant rien, ne nous arrêtait : manifs, affichages… On ne comptait ni les heures, ni les kilomètres», explique Danielle, une retraitée de 63 ans, dont trente de parti.
«Aujourd’hui, quand on demande en réunion des volontaires pour tracter, tout le monde baisse les yeux», confirme Renée, 54 ans, assistante de vie. Laquelle constate, amère, que la parole des militants compte moins que leurs voix :
«Savoir si on va voter Aubry ou Royal, pour eux, c’est plus important que nos revendications. Mais les militants sont plus nombreux que les grosses têtes.»Sentiment de déclassement partagé par Florence, 42 ans, sans emploi :
«Je n’ai pas l’impression qu’on se soucie de nous. C’est plutôt une bataille entre eux. Mais leur guerre ne nous concerne pas du tout.» Au point de s’interroger, après huit ans d’investissement :
«Je me pose la question de savoir si je vais rester socialiste ou pas.» Bonne question :
«Pourquoi je reste ? Plus par solidarité que par conviction.»«Il y a une exaspération des militants», abonde Roland, cadre sup retraité, 64 ans. Et, aussi, un ardent désir de renouvellement.
«C’est plus des éléphants, c’est des mammouths, diagnostique Michel, 58 ans, retraité.
Il faut absolument que les anciens prennent une retraite bien méritée !»Lille (Nord)«Intégrer le parti, une lutte de tous les instants»Ils ne veulent pas être cités.
«Parce que c’est un peu compliqué au niveau interne. Vaut mieux pas.» C’est la condition pour que ces deux étudiants livrent leur jugement sur leur organisation. Et il est sévère.
«Le parti est dans un état catastrophique, tout le monde le sait», lâche le militant de 19 ans.
«Le PS est une structure fermée, relève aussi sa voisine de 22 ans.
Intégrer le parti, c’est une lutte de tous les instants pour les nouveaux arrivants. Les lionceaux ont 50 ans…» Ce jeudi soir, plusieurs ténors, Martine Aubry, régionale de l’étape, Vincent Peillon et Benoît Hamon, présentent leur produit au siège de la puissante fédération du Nord. Dont le patron, Gilles Pargneaux, anime avec métier les débats. Jusqu’aux questions spontanées de la salle, réglées au millimètre.
A la tribune, Vincent Peillon, proche de Royal, l’assure :
«Il n’y a pas de base, pas de sommet !» Mais les adhérents ne sont pas convaincus, qui partagent le même sentiment de dépossession face à l’oligarchie socialiste.
«Les réseaux sont sclérosés. Trop de militants dépendent des élus», estime Stéphanie, 38 ans, dont dix de parti. Et de désigner les textes des motions, qu’elle tient à la main :
«Faut avoir une maîtrise pour comprendre!» Cette militante, qui travaille à l’ANPE, en vient même à se demander pourquoi elle s’engage :
«Dans mon équilibre de vie, le yoga est plus important…»Développeur informatique et blogueur politique, Marc Vasseur, 38 ans, ressent
«une grande colère». «Sarkozy joue les bulldozers, et eux, ils se déchirent. Combien de temps je vais supporter un parti qui n’est plus en capacité de faire quoi que ce soit ?» Exaspéré par ce
«parti de notables, où fatalement, les arrangements se font entre notables», Marc Vasseur a décidé de se porter candidat - sans la moindre chance - au poste de premier secrétaire fédéral. Pour protester contre
«une vision où les militants socialistes sont perçus en parts de marché» :
«Les dirigeants distillent la bonne parole, aux militants de l’ingurgiter…»Dans toutes les bouches, l’exaspération va pourtant de pair avec la volonté d’espérer à nouveau. Et l’obédience ne change rien à l’affaire.
«Ségolèniste», Jean, 76 ans dont
«cinquante de parti», en a tout simplement
«marre de perdre». «Ce que je veux, c’est qu’on en trouve un, et qu’on soit tous derrière. Hamon, Martine, n’importe lequel. Mais où se cache-t-il ? Qui est-il ?» L’imam caché du PS peut-il surgir du congrès de Reims ? Cadre retraité, Jean, 81 ans,
«vieux cabochard» mais
«jeune militant» - deux ans de carte - résume la délicate position du missionnaire socialiste :
«J’y crois, sans y croire, tout en y croyant.» Question de foi :
«Les miracles, il faut y croire. Comme sœur Emmanuelle…»Les Lilas (Seine-Saint-Denis)«Le politique n’habite plus beaucoup le parti»Il a
«tourné le truc dans tous les sens». Lu les six motions
«en long, en large et en travers». Mais Sydné, psychologue de 41 ans, est
«désespéré par la préparation du congrès». Même s’il en attend beaucoup :
«La vraie question, c’est ce que liront les Français, le 17 novembre au matin, quand ils ouvriront Libé
: Hollande-Delanoë ? Royal-Valls-Collomb ? Ou Aubry-Fabius-Strauss-Kahn ? Moi, ce que je veux, c’est le retour du politique. Parce qu’aujourd’hui, il n’habite plus beaucoup le parti.» La société non plus, d’ailleurs. Du moins, du côté de la rue de Solférino.
«Sur le terrain, les militants ne sont pas déconnectés de la réalité, assure Philippe, 35 ans, cadre dans le privé.
Mais les instances centrales, totalement.»Section autrefois populaire, mais aujourd’hui largement «bobo-isée», à l’image de la ville, la section des Lilas (Seine-Saint-Denis), comme ailleurs, enrage de ce parti
«incapable de rendre les coups».
«Hollande, c’est plus possible, peste Pascal, 43 ans, photographe.
Cet art du compromis proche de la couleuvre, c’est insupportable. Il faut parfois savoir mettre des gens autour de la table pour s’engueuler !» Et de pointer la logique routinière et le
«conformisme» de l’organisation :
«Quand je prends la parole, j’ai parfois l’impression de pisser dans un violon.» Sydné confirme :
«Le PS est super fort pour nous demander notre avis. Mais encore plus fort pour ne pas les écouter.» Et d’enrager par avance contre le rite de la commission des résolutions où, lors de la dernière nuit du congrès, se font les deals entre écuries qui formeront la majorité socialiste.
«Alors que les accords entre motions devraient se faire au grand jour, on se réunit dans un concile secret, et on accouche d’un truc hallucinant, comme si on désignait le pape. C’est insupportable. C’est le vol à main armée des militants.» En récidive ?