Dominique Strauss-Kahn : "Je proposerai au G20 un plan de nouvelle gouvernance mondiale" "Je suis préoccupé par le ralentissement de l'économie mondiale et ses conséquences sociales", a affirmé le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, au "Monde".
Blanchi par son conseil d'administration de l'accusation d'abus de pouvoir dans le cadre de sa liaison avec une de ses subordonnées, Dominique Strauss-Kahn, le directeur du Fonds monétaire international (FMI), rebondit. Il a retrouvé le dynamisme qui lui avait permis, depuis un an, de commencer à réformer la représentativité et les finances du Fonds.
Le FMILes missions. Le Fonds monétaire international a été créé, comme la Banque mondiale, à Bretton Woods (Etats-Unis), en 1944. Il a vocation à analyser et à surveiller les déséquilibres de change et de balances de paiement. Il prête les sommes nécessaires aux pays en difficulté : l'Islande (2,1 milliards de dollars), l'Ukraine (16,5 milliards) et la Hongrie (8,1 milliards) en sont les derniers bénéficiaires.
Les membres. Le FMI compte 185 membres dont les droits de vote et les droits à emprunter sont calculés en fonction de leur produit intérieur brut. Une réforme est intervenue au printemps, qui a donné plus de poids à la Chine, à l'Inde et au Mexique notamment.
Les salariés. Afin de réduire le déficit de 100 millions de dollars prévu en 2008-2009, le FMI a mis en place un plan de départs volontaires qui fera partir 500 de ses 2 900 salariés.
Les réserves. Le FMI est en mesure de prêter 250 milliards de dollars. Selon Dominique Strauss-Kahn, cela
"ne suffira peut-être pas", si le Fonds est appelé à soutenir la croissance mondiale par des aides budgétaires à ses pays membres.
Au plus fort de la crise financière, il a encouragé les gouvernements à mettre sur pied des plans globaux prévoyant la recapitalisation des banques en difficulté. Le 15 novembre, à Washington, il proposera au G20 un plan de nouvelle gouvernance mondiale baptisé
"Global regulation strategy" pour en finir avec les
"bulles" à répétition qui détruisent l'économie réelle.
Quand finira la descente aux enfers des Bourses mondiales ?L'extrême volatilité des marches montre que la crise financière continue à produire ses effets. J'ai bon espoir que cette volatilité se calme parce que les plans financiers américain et européen sont solides ; il leur faut juste un peu de temps pour donner leur pleine mesure.
Je suis plus préoccupé, en revanche, par le ralentissement de l'économie mondiale et ses conséquences sociales. C'est pourquoi le FMI ne peut pas se contenter d'être le pompier qui aide les pays à redresser leurs balances de paiement, il revendique le rôle du maçon qui aide à reconstruire la croissance. En 2009, nous prévoyons une croissance mondiale de 3 %, soit 0 % pour les économies avancées et de 6 % à 7 % pour les pays émergents. Dès le mois de février, j'ai d'ailleurs conseillé à ceux d'entre eux qui le pouvaient de prévoir un soutien budgétaire conjoncturel.
Vous avez été longtemps silencieux. Pourquoi n'est-ce pas vous qui avez élaboré le plan Brown qui a servi de modèle aux autres plans de sauvetage ?Mais vous ne savez pas tout et c'est normal ! Quand une crise bancaire se déclenche à l'intérieur d'un pays, le FMI n'a pas de rôle direct, mais prodigue des conseils aux gouvernements. Munis de l'analyse unique de 122 crises passées, nous avons martelé deux recommandations. D'abord, en finir avec le cas par cas et mettre au point un plan global ; ensuite, recapitaliser les banques, parce qu'injecter de liquidités ne peut suffire. Jusqu'à la mi-septembre, l'efficacité commandait la discrétion. Depuis, ayant été entendus, nous avons pu parler publiquement.
Que pensez-vous de la proposition de Gordon Brown de faire du FMI une banque centrale mondiale dotée de moyens financiers renforcés ?Gordon Brown a raison de vouloir réformer l'architecture financière mondiale. Avec la mondialisation, quand l'immobilier s'effondre en Virginie, la Hongrie en pâtit, parce que la chute du secteur résidentiel américain met en difficulté les banques américaines, puis toutes les banques de la planète qui rapatrient leur argent chez elles et coupent les crédits aux pays les plus lointains. L'effet domino se met alors en place. Le FMI peut y parer.
Pour cela, il faut que son rôle de coordonnateur de la régulation mondiale soit réaffirmé – telle est d'ailleurs l'approche de Nicolas Sarkozy. Je proposerai ainsi au G20 un plan de nouvelle gouvernance, ou
"global regulation strategy", autour des cinq axes suivants :
1/Mettre au point un prêt nouveau qui permette de soulager les problèmes de liquidités à court terme que rencontrent certaines économies : nous venons d'en définir les caractéristiques.
2/Augmenter les ressources du FMI qui peuvent devenir insuffisantes face à l'ampleur des besoins à moyen terme : c'est ce que propose Gordon Brown.
3/Tirer les leçons des politiques économiques qui ont conduit à ces
"bulles" à répétition dont l'éclatement détruit l'économie réelle : c'est la mission qui nous a été confiée, il y a quelques jours, par les 185 pays membres du Fonds.
4/Surveiller la mise en place des nouvelles régulations financières élaborées, avec le FMI, par le Forum de stabilité financière, qui regroupe principalement les grandes banques centrales.
5/Aider à repenser un système mondial plus cohérent parce que plus simple, plus efficace parce que plus coordonné. Au-delà de son rôle de pompier et de maçon, le FMI peut aussi avoir, pour un temps, un rôle d'architecte.
Qu'attendez-vous de la réunion du G20 à Washington, le 15 novembre ?La mesure de la situation historique que nous vivons. Et donc une impulsion décisive, à partir du document que nous lui soumettrons sur les leçons de la crise, pour la réforme de la gouvernance mondiale.
C'est une perspective que les Américains sont réputés ne pas apprécier…Beaucoup de choses changent en ce moment. A des degrés divers, tous les pays – y compris les Etats-Unis – reconnaissent que le marché ne fonctionne que s'il est organisé et qu'on ne peut attendre aucun bienfait de la mondialisation si ses défauts ne sont pas corrigés.
Notre assemblée du 11 octobre à Washington a marqué un tournant dans ce domaine : nos 185 pays membres ont accepté à l'unanimité un système coopératif qui a ensuite aidé les Européens à être unanimes à Paris, le 13 octobre. Vous vous souvenez que, quelques jours auparavant, tout le monde ne jurait que par le prisme national…
Vous notez aussi que ce sera un G20 et non un G8 qui se réunira à Washington, le 15 novembre, parce que tous les responsables ont pris conscience que l'économie mondiale ne se réduit plus aux seuls pays riches. Pour ma part, je rappelle sans relâche qu'il y a une autre crise derrière la crise financière : celle que vivent les pays pauvres, frappés de plein fouet par le renchérissement des matières premières et des produits alimentaires. Dans les pays développés, la crise signifie baisse du pouvoir d'achat; chez les plus démunis, elle veut dire risque de famine pour certains, malnutrition pour beaucoup et séquelles pour toute une génération.
L'enquête interne demandée par votre conseil d'administration sur un incident de votre vie privée vous a lavé de l'accusation d'abus de pouvoir. Votre crédibilité et celle du Fonds n'en sont-elles pas affectées ?Cette enquête a été conduite par un organisme indépendant dont les conclusions sont claires et nettes. Comme l'a dit le conseil d'administration du FMI :
"L'incident est clos".
Pour ma part, je suis pleinement dans l'action pour apporter des solutions aux problèmes économiques et financiers de la planète. D'ailleurs, le FMI n'est déjà plus le même qu'il y a un an quand j'y suis arrivé. Il est plus représentatif : la réforme des droits de vote, dont on parlait depuis des années, a été adoptée au printemps et aura à terme des effets considérables. Il est plus efficace : les 500 salariés qui nous ont volontairement quittés donnent une marge pour en embaucher une centaine d'autres qui vont nous aider pour nos nouvelles missions.
Il est plus respecté : l'Asie et l'Amérique latine ne sont plus en délicatesse avec le FMI, qu'elles accusaient d'éteindre les incendies au prix d'une régression économique et sociale. Il est enfin plus pragmatique : autant il serait absurde de prêter de l'argent aux Etats sans conditions, autant ces conditions ne doivent plus découler d'une ligne idéologique mais des besoins des pays. Le FMI a tiré les leçons de ses erreurs passées. J'ai plus que jamais l'ambition de continuer de le réformer pour lui faire jouer un rôle original dans ce nouveau contexte historique.