Nicolas Sarkozy a de la suite dans les idées. Discours après discours, mot après mot il offre sa vision d’une société dans laquelle le fait religieux serait présent et reconnu. Une conception à l’inverse de l’actuel principe de laïcité inscrit dans le marbre de la République à travers la Loi de 1905 et qui vise, à assurer la séparation entre le politique et le religieux.
On pourrait presque sourire en relevant le contraste entre une bigoterie de façade revendiquée au sommet de l’Etat et, dans la pratique, une vie courante marquée par des mœurs très libérées. Oui mais voilà, ce serait oublier que l’apaisement trouvé depuis l’adoption de la loi de 1905 est le fruit de siècles de déchirements.
En quête de hauteur présidentielle, fasciné par la société américaine, Nicolas Sarkozy a fait sien le mariage du sabre et du goupillon. Il ne croit pas en cette exception française en terme d’organisation de l’espace public seulement partagée par le Mexique et la Turquie. Il rêve d’un modèle proche des anglo-saxons où la pensée religieuse est omniprésente et où les interventions militaires extérieures prennent des allures de croisade, de choc des civilisations.
Nicolas Sarkozy est un récidiviste. Ministre de l’intérieur et des cultes, il n’avait jamais caché, il l’a même écrit en 2004 dans un livre « La République, les religions, l’espérance », sa préférence pour un système communautariste et sa volonté de revenir sur la loi de 1905, notamment sur la question du financement des religions.
C’est son droit. On pourra toutefois lui reprocher d’avoir masqué ses intentions sur une question aussi sensible dans son projet présidentiel tout comme ses relations ambiguës avec les milieux catholiques traditionalistes. Désormais Chef de l’Etat, ses mots n’engagent plus sa simple personne mais la République toute entière. Ils doivent donc être soigneusement soupesés et ciselés. A ce titre le discours de Latran, ne doit pas être considéré comme une sortie de route mais au contraire, comme la pose d’une première pierre d’un paysage dans lequel la morale religieuse pèserait lourdement sur la vie publique.
Outre une utilisation indienne par Gandhi, la notion de laïcité « positive » a une origine vaticane. On la prête au cardinal Ratzinger en charge de la doctrine de la foi avant qu’il ne devienne Benoît XVI « j’appelle de mes vœux une laïcité saine, dite positive ». Selon la philosophe Catherine Kintzler, le terme « laïcité positive », est d’une grande habileté rhétorique. « On a l’impression que c’est la même chose que la laïcité, mais en mieux. Alors qu’en réalité, cette expression vide le concept de laïcité de son sens, puisque la définition de la laïcité est forcément négative et minimaliste. La laïcité, c’est dire qu’il n’est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien politique. »
Le problème dans le débat actuel n’est pas qu’il se tienne mais que son instigateur soit le Chef de l’Etat. Dans la conception républicaine, le Président de la République a un rôle essentiel d’arbitre et de garant. Or, Nicolas Sarkozy sous des prétextes fallacieux de modernité, alors qu’il s’agit en fait d’un retour en arrière, endosse des habits partisans, celui de soldat de la foi.
La gêne se renforce quand le Pape en déplacement en France intervient dans le domaine politique, se déclarant «convaincu qu’une nouvelle réflexion sur le vrai sens et sur l’importance de la laïcité est devenue nécessaire». Selon Benoît XVI, en effet, la religion peut apporter une «contribution à la création d’un consensus éthique fondamental dans la société».
Il est vrai qu’il y a le feu dans la maison catholique. La pratique s’est effondrée. Le noyau de fidèle, tout comme le clergé est vieillissant. La « fille aînée » de l’église est désormais le sixième pays au monde par le nombre de catholiques, et le recul des vingt dernières années se poursuit. Seul un Français sur deux se dit encore catholique. Pour redresser la situation, Nicolas Sarkozy semble bien décidé à changer le visage de la laïcité.
Un contexte qui a amené Caroline Fourest essayiste et journaliste à prononcer sur le plateau de Ripostes le 14 septembre une phrase aux allures de prémonition. « Je crains que le mariage de l’ultra-libéralisme, de l’abandon de l’Etat et du retour à l’opium du peuple, finisse par avoir raison de ce que l’on aime le plus en France et que le monde entier nous envie ».
Certains observateurs font remarquer que le discours de Nicolas Sarkozy a évolué depuis le Latran, comme s’il avait voulu en corriger les excès. En fin politique, sans doute. Pourtant, ce qui compte, ce ne sont pas les coups de volant mais la destination que l’on s’est fixé. En ce sens, il serait hasardeux d’assurer qu’elle ait changé.